Vers
l'éclatement
Nous
sommes donc au départ d'une évolution qui va nous mener à la période
1993-1994, où les Verts vont éclater et où les partisans d'une véritable
écologie politique vont quitter les Verts. Les trois années qui
nous séparent de cette période ont tellement été marquées de manœuvres
et choses déplaisantes qu'il nous semble préférable de ne pas en
parler plus et de nous contenter de rappeler simplement les quelques
faits qui jalonnent cette période.
Parmi ces faits, il en est un qui, en 1992, marque un tournant significatif.
Il s'agit de la discussion sur l'attitude à adopter à propos du
Traité de Maästricht et du vote positif à quelques voix près en
sa faveur, discussion qui révéla de façon évidente une pensée contradictoire
chez les Verts.
Or,
les années 89-94 avaient été marquées, chez Les Verts par le poids
grandissant des députés européens qui étaient les seuls à apporter
des ressources financières considérables par rapport à la situation
antérieure du mouvement. Et ce poids ne fut pas sans importance
dans la préparation du débat majeur qui allait diviser le mouvement,
le débat sur le Traité de Maästricht. La situation objective de
ces députés tendait à ce qu'ils s'auto-persuadent de jouer un rôle
important dans l'avenir de la France et de l'Europe. Cela passait
par l'idée que le Parlement Européen était l'instance la plus efficace
pour faire gagner l'écologie. Et enfin, de par cette idée même,
cela signifiait que les idées écologistes ne pouvaient s'appliquer
que par le haut, par un niveau plus large que le niveau national,
et donc, par le développement et le renforcement des institutions
européennes. Et pourtant, pendant cette même période, notre courant
n'a pas manqué d'intervenir, à travers ses représentants au CNIR
(Conseil National Inter Régional), pour mettre en garde chaque fois
que c'était possible et tenter de sortir de cette problématique
simpliste.
C'était manifestement le début d'une dynamique inverse de celle
que les écologistes avaient défendue depuis le début. C'était aussi,
la trahison de cet idéal d'Europe que beaucoup de Français avaient
avec nous : l'Europe, et d'abord, une véritable entité européenne,
c'était pour eux, comme pour nous, une façon de se protéger des
menaces des marchés mondiaux et de la puissance américaine en particulier.
En supprimant par son article 3, toutes possibilités de protection
douanière, quelle que soit sa forme, et en mondialisant par son
article 73, la libre circulation des capitaux, le Traité de Maästricht
organisait la dissolution de l'Europe, comme entité économique,
à travers sa mondialisation. En faisant cela, les hommes politiques
qui soutenaient Maästricht ne se contentaient pas de trahir la volonté
des Français, ils les trompaient honteusement. La complicité des
Verts dans cette imposture marque le début d'une conception de la
politique que nous ne pouvions plus accepter.
En1993,
n'adoptèrent-ils pas la thèse selon laquelle les grandes évolutions
étaient à l'origine des dégradations que nous connaissons, et parmi
elles, figuraient la montée des niveaux de décision, l'éloignement
entre gouvernants et gouvernées, donc, le passage de pouvoir de
niveaux nationaux au niveau européen ? Ainsi, au nom de leur prétention
à détenir une " conscience " à laquelle le vulgum pecus était étranger,
on vit se rejoindre les courants de " gauche " des députés européens
(Voynet, Cochet) avec l'essentiel du courant waechtérien.
Malgré
cette conjonction, leur victoire fut difficile. Elle fut pour le
courant que nous représentons, le symbole de toutes les ruptures
futures du mouvement avec ce qui faisait le cœur de son analyse.
En résumé, le fait que, presque simultanément (à six mois d'intervalle),
le même mouvement, les Verts, puisse d'une part voter sur notre
proposition, une motion dénonçant les processus de mondialisation,
d'accroissement du niveau de décision, etc., c'est-à-dire les sept
évolutions évoquées plus haut, et d'autre part, accepter le Traité
de Maästricht qui est la base même du processus de mondialisation
économique de l'espace européen, ne doit pas être interprété comme
le fait du hasard. Dès lors, ces contradictions vont devenir le
mode de fonctionnement permanent de la majorité hétéroclite qui
va gouverner les Verts.
Il
ne sera plus possible de leur reprocher quoique ce soit, une quelconque
position, car ils auront toujours dans leur besace une autre position,
inverse de la précédente, pour montrer que ce n'est pas ce qu'ils
voulaient dire, et que de toute façon, il n'y a pas de contradiction,
la systématisation du flou et de l'incohérence va devenir la base
de leur stratégie intellectuelle.
Pourquoi
il ne nous est actuellement pas possible d'être chez les Verts
Parler
du courant actuellement représenté par les Verts, et parler de nos
différences n'est pas une tâche facile. Car le thème le plus apparent
de rupture entre eux et nous, est celui de la stratégie d'indépendance
vis-à-vis des blocs de la Droite et de la Gauche. Or, c'est l'arbre
qui cache la forêt des positions floues, contradictoires et incompréhensibles.
Et même sur ce point de la seule stratégie, on voit chez eux, des
positions assez ambiguës.
En effet, pour nous, on l'a vu, la stratégie d'indépendance était
le résultat d'une analyse : celle de la communauté des politiques
menées par la Droite et la Gauche, celle du constat qu'il existait
des logiques communément acceptées par la Droite et la Gauche actuellement.
Les uns à droite accusaient la trop forte existence de l'Etat, les
autres à gauche, le capitalisme, mais aucun ne désignait le vrai
responsable : l'économisme, entretenu par les grandes évolutions.
Aucun ne reconnaissait que c'étaient ces mécanismes lourds qui prédéterminaient
la vie quotidienne. Le moment où fut adopté, alors que nous étions
encore chez les Verts, le texte sur " Les sept évolutions ", peut
être considéré comme le point culminant pour l'écologie politique
indépendante, c'est-à-dire la percée de notre analyse. Mais en fait
c'était déjà l'hallali, puisque les mêmes qui avaient voté ce texte
acceptaient aussi le traité de Maästricht qui niait les sept évolutions.
On rentrait donc dans ce cadre, qui systématiquement, organise de
façon éhontée le double discours. Deux ans après, Cohn-Bendit pouvait
dire qu'il était totalement pour la mondialisation économique, qu'il
ne fallait pas changer Maästricht. Dans " Le livre des Verts " de
1999, il est fait allusion à la nécessité de réviser ce traité.
Si Cohn-Bendit est en désaccord avec les Verts, l'honnêteté exigerait
qu'il démissionne de son poste de chef de file des Verts au Parlement
Européen.
La
première ambiguïté des Verts, par rapport à ce problème de stratégie,
consiste à vouloir, en même temps affirmer, d'une part leur appartenance
au bloc de gauche qui est manifestement sous domination du Parti
Socialiste, et d'autre part, à proclamer formellement leur volonté
d'indépendance, au nom d'une vision radicalement différente, et
en fait, pour des raisons essentiellement internes (ils ne peuvent
pas entièrement couper les ponts avec la partie de leurs militants
pour qui la nécessité de se construire en dehors de la Droite et
de la Gauche avait été la raison de leur adhésion aux Verts).
De plus, quand ils revendiquent cette volonté d'indépendance, une
deuxième ambiguïté apparaît : la confusion entre ce que furent les
fondements de l'indépendance à la création des Verts, et d'autre
part, les fondements actuels de leur indépendance.
Quand les Verts actuels revendiquent la nécessité d'être " autonomes
" ou indépendants vis-à-vis des grands partis de la Gauche, c'est
seulement au nom de l'idée que ces partis n'ont pas suffisamment
" conscience " des problèmes écologiques. Pour eux, les partis de
Gauche n'en veulent pas assez, ne veulent pas aller assez vite.
Par contre, ce qu'ils ont abandonné par rapport à ce qui fondait
notre affirmation d'indépendance, c'est l'idée que les logiques
acceptées par ces partis étaient incompatibles avec notre logique,
c'est l'idée que ces grands partis de gauche ne désignent pas le
véritable adversaire, et que, non seulement, ils nous font perdre
du temps, mais qu'ils nous fourvoient dans de faux combats.
Ce
positionnement des Verts n'est pas sans rappeler celui du P.S.U.
il y a trente ans, et d'une façon générale, l'attitude que l'on
peut, sur le plan théorique appeler " gauchiste ", attitude consistant
à insister plus sur les rythmes des changements que sur leur orientation.
Nous rappelons que le gauchisme tel qu'il fut défini par Lénine
comme " maladie infantile du communisme " se caractérise essentiellement
par son inconscience radicale de la lourdeur des contraintes et
par son incapacité à proposer des rythmes de changements qui en
tiennent compte.
Mais
encore une fois pour nous, le problème majeur n'est pas de choisir
le meilleur rythme de changement, mais d'arriver à susciter un rassemblement
modifiant le sens de ce changement, le sens des évolutions. Se mettre
d'accord là-dessus, peut nécessiter et nécessitera sans doute un
certain réformisme quant aux rythmes, à condition qu'ils soient
radicaux quant à l'orientation. Or, c'est l'inverse que nous
pouvons constater chez les Verts. Ils se contentent d'aménager
les conséquences dangereuses des tendances lourdes et motrices,
sans vouloir les inverser et par contre, sur un certain nombre de
revendications de type institutionnel et législatif, ils prennent
des attitudes intransigeantes pour accélérer brutalement les changements
(par exemple le nouveau découpage administratif de la France).
Cette
réalité, cette résignation qui est objectivement évidente, est moins
facile à cerner dans les discours. Comme nous l'avons dit depuis
déjà au mois huit ans, les Verts se sont fait une spécialité du
double discours et de la confusion. La seule chose qui reste à faire
pour un observateur qui cherche à connaître leurs vraies orientations,
c'est de traquer les contradictions entre d'une part les discours
tenus par les différents responsables et d'autre part, les complicités
objectives des Verts avec tous ceux qui maintiennent le système
dominant, et d'analyser les contradictions existantes dans leurs
différents discours et écrits. On peut ainsi, entre autres choses,
relever dans ce registre objectif, leur texte d'accord officiel
avec le Parti Socialiste lors de leur entrée au gouvernement de
la Gauche plurielle.
Par exemple : on est à jeun de les avoir vu mettre sur la table
comme enjeu d'appartenance au clan de Gauche une véritable mise
en cause du Traité de Maästricht. Mise en cause pourtant évoquée
dans leur livre-programme, mais par ailleurs, énergiquement refusée
comme nous l'avons plus haut, par Daniel Cohn-Bendit. Quelques autres
exemples de ces contradictions et de ces doubles discours sont particulièrement
intéressants :
-
La contradiction entre, d'un côté la volonté proclamée et affichée
partout de développer la démocratie locale et directe et, de l'autre
un silence stupéfiant sur une loi comme la loi Chevennement qui
permet, en certains endroits, à un ville-centre d'imposer totalement
ses points de vue aux communes environnantes, qui permet à des préfets
d'imposer de rentrer dans l'intercommunalité à des communes l'ayant
refusé par référendum à plus de 90%.
-
Contradiction par omission sur l'Aménagement du Territoire
-
Contradiction sur la mondialisation et les prises de position de
Cohn-Bendit.
-
Contradiction entre l'affirmation théorique du soutien au principe
de subsidiarité et des propositions concrètes allant en sens inverse
et servant surtout à faire remonter le niveau de décision.
- Contradiction
entre la logique d'ouverture et de libre circulation des capitaux
instituée par le traité de Maästricht (article 3 et 73) et d'autre
part les prises de position indignées contre les licenciements,
les fermetures d'usines et autres dégraissages ayant pour seul motif
d'augmenter les profits des actionnaires, c'est-à-dire du capital
désormais légitimement libre de faire le chantage à la délocalisation.
Les vœux pieux et les tables rondes ne peuvent rien contre cette
logique cruelle.
- Contradiction
permanente entre leurs différentes thèses, entre d'une part, leur
volonté affichée et proclamée que l'Europe soit un espace où les
impôts frappent moins lourdement les plus faibles, les salariés
et soient moins indulgents pour les revenus du capital, et d'autre
part leur approbation sans révision du Traité de Maästricht qui,
dans son article 73 permettant la libre circulation des capitaux
entre l'Europe et le reste du monde, met les fiscalités des pays
européens non seulement en concurrence entre elles comme c'était
le cas dans le Traité de l'Acte Unique, mais en concurrence avec
celle des pays n'ayant pas du tout la même les mêmes conditions
économiques, la même législation sociale.
Rien
sur :
-
la publicité
-
la grande distribution
- le crédit à la consommation
- la taxe au Km ajoutée
-
Rien sur la nécessité de changer les priorités :
- Aménagement
du Territoire
- La politique agricole
- La mobilité obligatoire
- La montée du niveau de décision
- L'anti-rationalité instrumentale
- L'anti-économisme
Similitudes
et différences entre notre courant et le courant waechtérien
Le
courant waechtérien est entre autres marqué par un refus de tout
anthropocentrisme, c'est-à-dire refus des compromis nécessaires
avec ce qu'exige le respect des identités culturelles et avec la
vie traditionnelle du monde rural. Cela entraîne une incompréhension
absolue du rôle joué par les chasseurs dans la défense de la nature
et du monde rural ; cela entraîne donc l'impossibilité de trouver
un compromis acceptable avec eux. Cette attitude est liée à une
certaine vision de l'écologie politique : elle peut être déduite
de la science écologique. De ce fait, elle prend le même caractère
que la science : les mesures que ce courant propose pour la société,
lui semble être des " évidences " ..
De ce fait, comme chez les marxistes, il y a un double discours
: un discours séduisant, exaltant la décentralisation par exemple,
et un discours autoritaire, centralisé qui est en fait le véritable
discours !
Cela explique évidemment leur acceptation, critique, certes de l'Acte
Unique, des Traités de Maästricht et d'Amsterdam. " Même si c'est
imparfait, d'en haut, c'est plus facile que d'en bas pour imposer
des mesures écologiques ! " pensent-ils.
Ils sont pacifistes, cela n'est évidemment pas étranger à la présence
chez eux d'un certain " mondialisme ". Mais, pour comprendre l'importance
chez eux du pacifisme, il faut remonter à une propension très importante
aussi à " l'angélisme ", consistant à l'intentionnalisme, négateur
de ce qu'on peut appeler les effets pervers, à l'absence manifeste
du " sens " des conflits de valeurs universelles et permanentes
et de la valeur de l'existence de ces conflits de valeur.
Il est bien regrettable qu'Antoine Waechter, à la fin des années
80, se soit laissé progressivement déposséder de l'appareil que
nous avions construit ensemble, car malgré les divergences signalées
plus haut, nous avions aussi de nombreux points d'accord avec son
groupe. Ils correspondent à ce que l'on peut lire, aujourd'hui,
sur le site Internet du MEI, dans le texte auquel nous souscrivons
totalement, intitulé " Le choix de la vie ! " extrait de la Charte
Constitutive de ce mouvement et que nous retranscrivons ici :
" La
pensée écologiste s'appuie sur quelques fondements, qui ont en commun
d'exprimer notre amour de la vie :
-
Le respect de la diversité : diversité des espèces, des communautés
vivantes et des cultures ; Elle est l'expression même de la complexité
et de la richesse de la vie. Cette diversité est un formidable patrimoine,
qui rend la Terre capable de combler notre besoin de découverte
et d'émerveillement.
-
L'adaptation aux limites de la Terre : toutes les ressources de
la Terre sont limitées, son étendue, son potentiel de production
et sa capacité à digérer nos déchets. Les logiques économiques et
les stratégies sociales doivent intégrer cette finitude du monde.
Nous rejetons les régulations par catastrophes qui jalonnent l'histoire
de l'Humanité.
-
La globalité de l'individu : l'être humain n'est pas seulement un
consommateur et un producteur, il est aussi, et d'abord, un être
sensible et un corps vulnérable. Aucune politique ne doit privilégier
les intérêts économiques au détriment de l'intégrité de l'individu.
-
Chaque personne est unique, sa vie ne peut être sacrifiée au nom
du progrès ou de la raison d'Etat, de la Justice ou d'une idéologie.
- L'identité
des personnes et des cultures : les droits individuels sont universels
comme l'affirme la Déclaration des Droits de l'Homme que nous faisons
nôtre ; les individus sont divers, identifiés par leur culture,
leur attachement au territoire et à la communauté humaine qui l'habite.
Ces liens et leur manifestation (langue, patrimoine collectif, culture)
doivent êtres respectés et reconnus.
-
La liberté : cette valeur fondamentale ne peut être aliénée par
l'Etat. Elle s'exerce dans une démocratie participative où chacun
doit avoir la possibilité de s'exprimer, de s'associer ou d'entreprendre
dans le respect de la liberté des autres. Elle nous conduit à rejeter
les régimes totalitaires, collectivistes ou ceux qui abandonnent
la souveraineté politique au profit de mécanismes économiques.
-
La responsabilité : l'Humanité (nous dirions plutôt les hommes)
est responsable de la planète et de l'avenir de ses enfants. Par-delà
le temps et les distances, les générations et les peuples de la
Terre sont solidaires d'un même futur. Nous sommes partisans de
créer un droit des générations futures.
-
L'égalité dans la différence : les êtres humains ne naissent pas
semblables, mais ils sont égaux en dignité, en droits et en devoirs.
Chacun a droit aux mêmes chances éducatives, à la même qualité de
vie, au même accès à la citoyenneté, au même respect. Chacun a le
devoir de contribuer à l'épanouissement de la communauté humaine
et au respect de son environnement. "
Serait-il
possible d'ajouter à ces principes, sur lesquels notre accord commun
est sans réserve, trois autres principes qui en sont les prolongements
naturels. En effet, quand nous disons : " Tout homme est unique
", cela implique aussi : "Aucun homme ne peut être réduit aux catégories
sociales, aux groupements auxquel il appartient ".
Chaque homme doit toujours être considéré comme capable de ruptures
avec ce qu'il est, avec son passé, doit être considéré comme toujours
capable de construire librement son existence présente et future.
Aucun homme ne peut être nommé d'une manière qui l'enfermerait dans
une " nature " : un tel est un ceci ; tel autre est un cela… Nous
devons nous contenter de présenter la nature des actes de chacun,
sans jamais en conclure quelque chose sur une prétendue nature de
celui qui les a commis. Nous devons donc dire : ce qu'il a fait,
c'est ceci ou cela…
Il
semble aussi logique d'ajouter : " Les actes, les choses et évidemment
les hommes, ne peuvent être jugés essentiellement en fonction de
leur qualité d'instrument d'un objectif, mais doivent être vus sous
leur aspect unique dont la valeur vient du fait de cette unicité,
vient de leur caractère incomparable. "
Un
conflit ne doit pas être vu automatiquement comme un conflit entre
ce qui est bien et ce qui est mauvais. Au contraire, il doit être
systématiquement envisagé qu'un conflit puisse être un conflit entre
des valeurs universelles et permanentes, puisse être un conflit
entre les valeurs vécues par un même individu. L'hypothèse de la
valeur des conflits due à l'existence des conflits de valeurs est
une condition d'un regard non totalitaire sur le monde.
Les
débuts difficiles de la CEI
La
création de la Confédération des Ecologistes Indépendants, à la
fin de l 'année 1993, ne fut pas le résultat d'un mouvement en bloc,
mais celui de départs échelonnés entre 1992 et 1994. Pourtant, une
tentative fut faite pendant l'été 1993, à Barre les Cévennes en
Lozère, pour faire réfléchir ensemble tous ceux qui voulaient maintenir
l'indépendance de l'écologie politique ; Peine perdue ! Mais la
pratique de Waechter, consistant à croire qu'il pouvait rester aux
Verts en lâchant du lest, et lâcher du lest en lâchant ses alliés
et ses amis, continua. Les Languedociens, partisans de l'indépendance,
et qui étaient largement majoritaires dans leur région, essayèrent
aussi de rester : abandonner était pour eux d'autant plus difficile
que c'était abandonner à la fois un sigle qu'ils avaient façonné
dans leur région et aussi une infrastructure qu'ils avaient construite.
Tentative impossible : tout était allé beaucoup trop loin. Ils ne
pouvaient plus se déclarer d'un mouvement qui, sur de nombreux points
allait en sens inverse de leur orientation.
Ce
n'est donc qu'en 1994, que des militants Verts,( parmi eux, le groupe
languedocien était le plus important) rejoignirent officiellement
la Confédération des Ecologistes Indépendants. Mais, bien avant,
les contacts avaient été très étroits, et l'orientation de la Confédération
avait été élaborée dès le départ à partir des orientations qui avaient
été celles de notre courant, c'est-à-dire du courant " Fil Vert
" auquel avaient participé nombre de ceux qui créèrent la CEI.
La
CEI a connu un départ difficile à cause du manque d'argent au départ
: les Verts tenaient les cordons de la caisse et n'ont rien voulu
céder.
Elle
engagea des actions dont nous parlons plus loin, pour rapprocher
les adversaires de la Pensée Unique, établir un autre clivage que
le clivage Droite/Gauche, par exemple, en 1998, " Le Forum pour
l'Autre Politique " à Montpellier. Le lendemain on entendra le silence
retentissant de la presse locale, et le surlendemain, les vieux
clivages politiques reprendront le dessus. Cette expérience montre
bien la difficulté de se faire connaître face aux deux obstacles
que sont le manque d'argent et l'hostilité des médias.
Comment
trouver un débouché politique aux nouvelles résistances ?
Une
des caractéristiques du courant d'écologie politique indépendante
que nous animons a toujours été de vouloir combiner l'ouverture
sans aucun préjugé sur les personnes, avec, en même temps, la volonté
que cette ouverture et les nombreux rassemblements qu'elle permet,
se fasse sur la base du refus des logiques dominantes, sur la base
du refus de l'économisme et du productivisme, et aussi sur le refus
de reprendre le clivage Droite/Gauche antérieur. C'était dans cet
esprit-là, que déjà en 1986, nous avions en Languedoc-Roussillon,
créé une liste commune aux Verts et à un rassemblement intitulé
" Fazem lo Païs " dans lequel se trouvaient des membres de groupes
maoistes. Ce regroupement se caractérisait par le fait qu'il était
très ouvert, mais aussi qu'il était entièrement inséré dans la nouvelle
problématique que nous essayons de développer. On peut considérer
que la participation en 1986, de certains d'entre-nous au regroupement
intitulé " Arc en Ciel " et qui regroupait de très nombreux militants
dont une partie provenait de l'extrême gauche, relevait du même
esprit et de la même volonté. A l'époque, ces participations nous
valurent, de la part de certains, une réputation de gens de Gauche,
voire de gauchistes !
Plus tard, dans le même esprit, la participation des trois conseillers
régionaux en Languedoc-Roussillon à la majorité régionale de Jacques
Blanc, sur la base d'un contrat et d'une orientation extrêmement
précise, axée sur la volonté de refuser la concentration spatiale
des activités en Languedoc et sur celle de favoriser un développement
durable dans les transports et les équipements, nous valut alors
une réputation inverse, de gens de Droite. Il faut cependant ajouter
que ce contrat fut scrupuleusement respecté et permit un certain
nombre de victoires éclatantes (n'avons-nous pas entre autres, préparé
le terrain qui allait permettre de sauver la ligne ferroviaire Béziers-Neussargues
?).
Il est évident que ces deux opérations politiques avaient un inconvénient
: malgré la clarté des bases sur lesquelles elles étaient fondées,
les partenaires appartenaient dans chacun des cas à un clan, et
à un seul... C'est peut-être pour cela, dans les années qui suivirent,
que cette double volonté d'ouverture et de maintien de notre orientation
générale se traduisit de la part de notre courant par la multiplication
locale ou nationale de tentatives de créer des structures de rassemblement
dans lesquelles participaient ostensiblement à la fois des gens
dont l'origine politique se situait dans le clan de Droite et des
gens dont l'origine politique était dans le clan de Gauche. C'est
ainsi que dans la région Languedoc-Roussillon fut créé " Le Forum
pour l'Autre Politique " qui comprenait à la fois des gaullistes,
des socialistes, des chasseurs, des membres du MDC et évidemment
des écologistes appartenant à toutes les organisations d'écologie
politique exceptés les Verts (Génération Ecologie, Cap 21, MEI et
évidemment, CEI). Les intervenants nationaux eux-mêmes, Liem Huang
Nhoc, Alain Cotta, Emmanuel Todd, Henri Guaino, représentaient,
à la fois, une diversité d'origine et aussi, une volonté commune.
Cette expérience se renouvela à l'échelle nationale, avec la création
de la Fondation Marc Bloch, fondation conçue dès le départ comme
se voulant un peu l'anti-fondation Saint-Simon, ou autrement dit,
un rassemblement intellectuel de ceux qui voulaient montrer qu'il
existait une alternative à la Pensée Unique, à la Politique Unique,
à la mondialisation dominante.
Ainsi, deux membres importants de la CEI, François Degans et Georges
Fandos furent parmi les premiers fondateurs de la Fondation Marc
Bloch. Il est regrettable de constater que cette fondation qui voulait
montrer qu'il existait globalement une alternative à la globalisation
et à la Pensée Unique, soit en train de devenir un groupe intellectuel
enfermé dans l'idée que défendre contre la mondialisation, la nécessité
des souverainetés nationales, supposerait d'en revenir à des visions
jacobines et centralisatrices complètement contraires à la volonté
de liberté qui anime notre refus de la mondialisation.
Enfin, à l'heure actuelle, depuis un an et demi, cette volonté semble
pouvoir rencontrer une réalité sociale. Il existe manifestement
une montée des résistances aux logiques dominantes de la mondialisation
économique, de la concentration spatiale des activités, de l'uniformisation.
Les résistances prennent des formes multiples, la plus spectaculaire
est celle qui est incarnée par José Bové, résistance à une agriculture
industrielle et productiviste qui du même mouvement détruit les
petites exploitations, multiplie les pollutions, accélère l'exode
rural et développe ce qu'il a appelé d'un mot magnifique la " malbouffe
" pour le consommateur. Cette résistance semble converger avec celle
des cinéastes qui refusent d'être écrasés par la logique économique
du cinéma américain, semble aussi rejoindre la lutte des paysans
du Sud pour échapper à la dictature de l'économisme menée par le
FMI et la Banque Mondiale, rejoint aussi la lutte menée par d'autres
mouvements comme l'Observatoire de la Mondialisation contre le projet
concernant l'Accord Multilatéral des Investissements (AMI), et a
rejoint manifestement l'ensemble de ceux qui ont lutté contre les
mêmes types d'accords à l'intérieur de l'OMC, qui se regroupèrent
à Seattle, Genève, Millau, Nice. A chaque fois, la CEI a appelé
à participer à ces rassemblements.
Les convergences politiques posent cependant des questions politiques.
Et il est du rôle de la CEI d'y réfléchir et d'essayer d'en tirer
des leçons. Ces rassemblements et les organisations qui y ont invité,
en particulier du type ATTAC, qui n'ont pas de statut proprement
politique, ne trouvent pas actuellement de relais politiques. Leurs
succès posent donc un certain nombre de questions : y a-t-il un
minimum de volonté positive et non plus uniquement négative derrière
ces rassemblements et derrière ces formes d'organisations ? José
Bové ayant clairement affirmé qu'il ne voulait pas sortir du rôle
de contre-pouvoir, peut-on considérer qu'à long terme et, dans le
quotidien on pourra éternellement se contenter de contre-pouvoirs
pour sortir de l'impasse et pour organiser des logiques alternatives
? Par exemple : peut-on trouver une traduction commune et positive
au thème fédérateur " Le monde n'est pas une marchandise " ?
Enfin, dans la mesure où il semble démocratiquement difficile qu'il
n'y ait aucune traduction, aucune expression politique de ces rassemblements-là
(à Millau, les personnes présentes appartenaient à des horizons
très divers, tout en ayant quelque chose de manifestement commun,
mais quoi ? comment le définir ?), la CEI se pose la question et
la pose à tous ceux qui partagent ses valeurs : quelle structure
de rassemblement provisoire proposer pour que ceux qui veulent qu'existe
cette traduction politique du rassemblement et des contre-pouvoirs
puissent y réfléchir et travailler ensemble ?
Ces
rassemblements ne peuvent être réellement " révolutionnaires ",
c'est-à-dire ne seront porteurs d'avenir que s'ils ont réussi à
se faire en dehors du cadre politique qui a condamné les autres
rassemblements à reproduire les logiques dominantes. Le problème
psychologique est qu'il est toujours difficile quand on s'insère
dans un rassemblement, sans avoir de vues hégémonique, de poser
à priori des exclusions contre tel ou tel type de critique. Or,
la caractéristique des groupes contemporains (à part les plus petits
peut-être) est de pratiquer systématiquement le flou, le double
discours. De la part du militant de base, il n'est pas sûr que cela
soit volontaire, mais c'est plutôt le résultat de l'affaiblissement
de l'intensité des débats. La rigueur disparaît complètement. Elle
est même vite vécue comme une expression du dogmatisme. L'incohérence,
elle, devient un signe de vitalité, de liberté, " d'ouverture" .
Dans ces conditions, l'idéologie dominante voit des boulevards s'ouvrir
devant elle. Ceux qui la soutiennent n'ont plus besoin de justifier,
d'expliquer leurs contradictions. Nous sommes tout à fait d'accord
avec Jean Claude Michéa lorsque dans " L'enseignement de l'ignorance
", il analyse ce qu'est en train de devenir l'Ecole, du fait des
nombreuses réformes qu'elle subit, et donne un sens à ce qui, du
premier abord semblerait n'en avoir aucun
" Le
mouvement qui, depuis trente ans, transforme l'Ecole dans un sens
toujours identique, peut maintenant être saisi dans sa triste vérité
historique. Sous la double invocation d'une " démocratisation de
l'enseignement " (ici un mensonge absolu) et de la " nécessaire
adaptation au monde moderne " (ici une demi-vérité), ce qui se met
effectivement en place, à travers toutes ces réformes également
mauvaises, c'est l'Ecole du Capitalisme total, c'est-à-dire
l'une des bases logistiques décisives à partir desquelles les plus
grandes firmes transnationales, - une fois achevé, dans ses grandes
lignes, le processus de leur restructuration - pourront conduire
avec toute l'efficacité voulue la guerre économique mondiale du
XXI siècle. ……Tout d'abord, il est évident qu'un tel système devra
conserver un secteur d'excellence……. Pour les compétences techniques…
..il s'agit de savoir jetables…… Restent enfin les plus nombreux
; ceux qui sont destinés par le système à demeurer inemployés (ou
à être employés de façon précaire et flexible, par exemple
dans les différents emplois Mac Do)…… Il est clair, en effet, que
la transmission coûteuse de savoirs réels - et, à fortiori, critiques
-, tout comme l'apprentissage des comportements civiques élémentaires
ou même, tout simplement, l'encouragement à la droiture et à l'honnêteté,
n'offrent ici aucun intérêt pour le système, et peuvent même
représenter, dans certaines circonstances politiques, une menace
pour la sécurité. C'est évidemment pour cette école du grand
nombre que l'ignorance devra être enseignée de toutes les façons
concevables. Or c'est là une activité qui ne va pas de soi,
et pour laquelle les enseignants traditionnels ont jusqu'ici, malgré
certains progrès, été assez mal formés. L'enseignement de l'ignorance
impliquera donc nécessairement qu'on rééduque ces derniers,
c'est-à-dire qu'on les oblige à " travailler autrement ",
sous le despotisme éclairé d'une armée puissante et bien organisée
d'experts en " sciences de l'éducation ". La tâche fondamentale
de ces experts sera, bien entendu, de définir et d'imposer (par
tous les moyens dont dispose une institution hiérarchisée pour s'assurer
la soumission de ceux qui en dépendent) les conditions pédagogiques
et matérielles de ce que Debord appelait la " dissolution de la
logique " : autrement dit " la perte de la possibilité de reconnaître
instantanément ce qui est important et ce qui est mineur ou hors
de question ; ce qui est incompatible ou, inversement, pourrait
bien être complémentaire ; tout ce qu'implique telle conséquence
et ce que, du même coup, elle interdit ". ………..
Naturellement,
les objectifs ainsi assignés à ce qui restera de l'Ecole publique
supposent, à plus ou moins long terme, une double transformation
décisive. D'une part celle des enseignants, qui devront abandonner
leur statut actuel de sujets supposés savoir afin d'endosser
celui d'animateurs de différentes activités d' éveil ou transversales,
de sorties pédagogiques ou forums de discussions (conçus,
cela va de soi, sur le modèle des talk-shows télévisés) ; animateurs
qui seront préposés, par ailleurs, afin d'en rentabiliser l'usage,
à diverses tâches matérielles ou d'accompagnement psychologique.
D'autre part, celle de l'Ecole en lieu de vie, démocratique
et joyeux, à la fois garderie citoyenne - dont l'animation des fêtes
(anniversaire de l'abolition de l'esclavage, naissance de Victor
Hugo, Halloween…) pourra avec profit être confiée aux associations
de parents les plus désireuses de s'impliquer - espace
libéralement ouvert à tous les représentants de la cité (militants
associatifs, militaires en retraite, chefs d'entreprise, jongleurs
ou cracheurs de feu, etc…) comme à toutes les marchandises technologiques
ou culturelles que les grandes firmes, devenues désormais partenaires
explicites de " l'acte éducatif ", jugeront excellent de vendre
aux différents participants. "
|